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Un avenir compromis

Résumé :

 

 

Ayant arrêté ses études, Lucynda, jeune fille sans histoire, travaille à présent dans un fast-food. Elle a toujours eu énormément de mal à s’attacher aux gens qui l’entourent et s’est continuellement sentie à l’écart, sans savoir pourquoi.

Mais un beau jour, sa vie va être bouleversée par une horrible tragédie. Elle devra réapprendre à vivre, et à survivre, dans un quotidien qui n’est plus le sien. Le danger sera à chaque coin de rue et elle devra se méfier de tous. Cependant, elle ne sera pas seule face à tout cela, des personnes veilleront sur elle.

Sont-ils seulement fiables ? Pourquoi restent-ils si mystérieux ? Et pourquoi ce beau ténébreux l’attire-t-elle, autant qu’il la terrifie ?

 

Entrez dans ce monde inédit à vos risques et périls…

Prologue :
 

     Jamais je n’aurais pu m’attendre à pareil avenir, pour mon frère, pour moi, pour ma famille...

     Peut-on apprécier le changement, quand cela n’implique pas seulement de bonnes choses ? J’adore ma famille, j’adore ma ville. Mais malgré cela, j’ai toujours eu l’impression, au plus profond de mon être,  que quelque chose clochait. Un élément m’échappait...

     Je n’ai  jamais pu me lier d’amitié avec les jeunes de mon âge. Attention, je parle ici d’une réelle amitié, profonde, qui vous suit tout au long des années, pas de celle qui vous oublie dès la fin de l’année scolaire. Pourtant, je n’aurais rien eu contre, mais… je ne sais pas trop, on en revient toujours à cette impression : quelque chose clochait, sans que je n’arrive à mettre le doigt dessus. C’est comme si tout sonnait faux…

     Je n’ai jamais compris ce sentiment qui ne me quittait jamais. Je me sentais juste différente, exclue de tout ce qui m’entourait, sans toutefois en connaître la raison.

     Alors, quand certaines personnes firent irruption dans mon quotidien et chamboulèrent tous mes repères, au lieu de prendre peur et d’être sceptique, j’étais soulagée.

     Soulagée, car finalement tout prenait enfin un sens.

 

     Je m’appelle Lucynda, et ce que vous allez lire est le début de mes aventures. Vous pourriez être moi, je pourrais être vous…

     Ainsi, que vous le croyez ou non, un monde fantastique coexiste avec le vôtre. Vous ne le voyez pas, mais pourtant il est bien là. Et un jour, tout ce que vous connaissez pourrait bien changer.

 

Changer, à jamais…

 

Chapitre 1 :

 

 

 

     — Je viens de vous commander deux burgers végétariens avec un coca light, Madame, m’avez-vous entendue ?

     La femme qui venait de me parler portait un tailleur beige, la jupe fendue juste au-dessus du genou. Elle tenait fermement son portefeuille d’une main, son attaché-case de l’autre et semblait être très pressée. Moi je restais là, debout bêtement derrière mon comptoir, ayant visiblement du mal à comprendre son impatience.

     Ce fut ma première impression, avant de tourner la tête sur ma droite, afin de jeter un œil dans le miroir. Une horrible vision s’offrit à moi : j’avais fait un bond de quarante ans dans le futur. Enfin, ce n’était qu’une estimation, au vu de mon reflet. Je n’arrivais pas à en détourner les yeux, et la peur, qui s’était immiscée dans tout mon être, ne faisait que s’accroître davantage.

     Soudain, ce fut le calme plat dans toute la salle, pourtant bondée de monde. Je n’avais cependant pas perdu l’usage de mes sens, car une vibration me sortit de ma contemplation et me fit tourner la tête vers ma cliente.

     Elle s’était transformée en… moi. Un moi sévère et jeune, qui s’impatientait en me hurlant dessus, attirant ainsi l’attention des gens présents autour de nous. Une aura exécrable émanait d’elle : elle respirait l’antipathie, la méchanceté, et je ne pus empêcher mes larmes de couler.

     Aurais-je fini ainsi, si j’avais exaucé le vœu de mes parents en poursuivant mes études à Londres ?

     Allais-je finir ainsi, d’ici quelques années, odieuse, sinistre et antipathique ?

     Je me regardais encore dans le miroir, décidant de l’ignorer complètement malgré ses cris, que je percevais maintenant sans peine. Je me voyais à nouveau vieille, mais le visage serein, semblable à celui de ma grand-mère : l’esprit bienveillant, compatissant et altruiste. Une vieille dame gentille et charmante, en somme.

     Et là, je compris que deux choix s’offraient à moi.

     Soit, je finissais mes jours dans ce petit village, sans brillant avenir, devenant ainsi cette bonne vieille femme, soit je partais « conquérir le monde » et devenais cette jeune pimbêche acariâtre et présomptueuse.

Derechef, plus aucun son ne se fit entendre, comme si l’on avait appuyé sur mute à nouveau. Pourtant on voyait bien que mon moi jeune continuait de vociférer.

     L’aire de jeux était pleine d’enfants, les adultes parlaient entre eux dans la salle, bref, tout était en mouvement. Tout, excepté une silhouette masculine, toute de noir vêtue, qui attira mon attention un bref instant. Il était adossé sur le mur de gauche, bloquant une partie de l’entrée et semblait me fixer, mais je ne parvenais pas à déchiffrer ses traits, son visage s’obstinant à demeurer flou. Il dégageait quelque chose de maléfique qui me glaça le sang.

     Puis, un bruit strident envahit soudain la pièce et me réveilla en sursaut.

     Merci, mon Dieu, ce n’était qu’un mauvais rêve ! Ce cauchemar restera un des plus sordides que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui, je ne risquais pas de l’oublier de si tôt.

     Nous étions en plein mois de février, je ne fus donc nullement surprise lorsque j’ouvris les yeux pour découvrir un temps gris et nuageux. Les brumes du sommeil ne m’avaient pas encore entièrement quittée. Je tendis alors ma main vers mon réveil et me rendis compte qu’il n’était que sept heures du matin… génial ! Je stoppai aussi sec mon réveil, n’ayant pas le courage de me lever de suite, vraiment pas.

« Bon allez, encore quelques minutes et je descends »

     Cela faisait maintenant deux mois que j’avais trouvé un emploi à mi-temps. Trois fois par semaine, j’allais travailler au fast-food de la ville. Rien de bien glorieux, mais cela me suffisait pour le moment. Mon baccalauréat en poche depuis à peine quelques mois, j’avais décidé de prendre une année sabbatique. J’espérais que cela me permettrait de bien réfléchir sur mon avenir, de me faire, par la même occasion, une expérience professionnelle, mais surtout, je voulais trouver ma voie…

 

     J’avais tout juste vingt ans et je me sentais déjà comme une étrangère dans mon propre corps. Le peu d’amis que je possédais avait déjà trouvé leurs voies : un boulot, des études supérieures, ou une future vie de famille. Quoiqu’il en fût, ils étaient heureux et satisfaits de leur choix… Mais qu’en était-il des miens ?

J’étais dans l’incapacité totale d’en prendre. Pas parce que je n’en avais pas le temps ou l’envie, simplement parce que je n’avais pas la moindre idée de ce dont j’étais faite, du but de ma présence sur cette Terre… j’avais beau me creuser l’esprit, une seule chose revenait sans cesse : je voulais me démarquer des autres, être spéciale… Cependant, faire, encore et toujours, le même genre de rêve ne m’aidait pas dans mes choix.

 

     À force de ressasser tout cela, j’avais fini par me réveiller entièrement, donc autant ne plus traîner au lit. Désespérant… Le fait de traîner le plus possible au lit et ainsi avoir moins de temps pour tourner en rond le reste de la journée.

     Sur cette dernière pensée lamentable, je me levai d’un bond et m’empressai de revêtir mon vieux survêtement gris, posé négligemment sur ma chaise de bureau.

     Soudain, je me figeai, alors que je tenais encore mon haut dans les mains, que je venais juste d’enfiler. Une désagréable sensation m’envahissait rapidement, comme un mélange de peur, d’excitation et d’appréhension. Au moment où mon instinct s’agitait et me hurlait de me mettre en garde, la vision de l’homme de mon cauchemar refit surface : je ressentais une autre présence dans la pièce, derrière moi, comme si quelqu’un était caché et m’épiait... Je me retournai brusquement vers ma penderie afin de démasquer l’intrus : rien. J’avançais lentement dans cette direction, saisissais fermement les poignées et ouvris d’un coup sec : toujours rien.

« Idiote ! Comme s’il pouvait y avoir quelqu’un dans ta chambre. »

     Pourtant, cette sensation était toujours présente. Alors, je regardai par la fenêtre, mais ne perçus que ma voisine qui retirait son courrier de sa boîte aux lettres. Je devenais folle : un cauchemar et je virais parano !

     Poussant un soupir de résignation, je refis grossièrement mon lit et quittai la pièce, avant de descendre en direction de la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner.

     Alors que je me trouvais encore dans l’escalier, une fièvre s’empara brusquement de moi, me privant de toutes mes forces en un claquement de doigts : tout se mit à tourner et je perdis l’équilibre, manquant de dégringoler les marches restantes. Je me cramponnai de justesse à la rambarde pour éviter une chute regrettable. Heureusement, personne ne le remarqua, je fis donc comme si de rien n’était, afin d’éviter une journée entière à être cloîtrée dans ma chambre. Il n’y aurait rien eu de tel pour accentuer ma morosité, car, avoir des parents surprotecteurs n’était pas vraiment une chose facile. Ils auraient, à coup sûr, trouvé un prétexte pour me garder à la maison.

     Mes parents étaient déjà debout depuis longtemps, aussitôt que les premiers rayons de soleil perçaient, ils sautaient hors du lit. C’était tout le temps comme cela, même le week-end.

« Dormir n’est qu’une perte de temps ! » Affirmaient-ils.

     Pour moi, c’était les jours qui étaient une perte de temps. Au moins, lorsqu’on dormait, cela passait plus vite…

     Nous étions pourtant samedi, mais mon père était déjà devant son ordinateur, toujours en train de travailler ; ma mère venait de finir son café et s’affairait déjà à nettoyer chaque parcelle du salon. À croire que vous aviez devant vous deux robots qu’on venait de mettre en marche et qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes. Cette image me fit sourire.

     La plupart des gens attendaient avec impatience les vacances, pour sortir de l’ordinaire et s’éloigner de leur travail. Mes parents, eux, ne restaient jamais en place, sinon ils s’ennuyaient à mourir. Deux jours au même endroit ? C’était inconcevable ! C’était comme ça, hyperactif, même en vacances.

     Ce fut la raison principale qui avait engendré une incompréhension, ils avaient eu énormément de mal à accepter mon année sabbatique. J’avais tenté quelques explications, mais bon, autant parler à un mur : déjà, je ne savais pas mentir, et en plus, ils s’étaient rendus compte que cela cachait quelque chose.

     J’entrai dans la cuisine d’un pas mollasson, n’étant pas encore remise de mon réveil mouvementé. Heureusement pour moi, je savais donner le change.

     — Bonjour maman, papa. Encore une belle journée qui s’annonce, non ? ironisai-je.

     — Bonjour chérie, me répondirent-ils en cœur.

     Ma mère stoppa son geste et se tourna vers moi, son plumeau à la main.

     — Tu ne travailles pas aujourd’hui, il me semble, pourquoi te lèves-tu si tôt ? Profite un peu de ton week-end !

     Je l’avais vu venir. Elle avait beau ne pas tenir en place, elle était une digne représentante des MPA… mères poules anonymes.

     J’étouffais un rire nerveux.

     — Euh… je préfère me lever de bonne heure, j’en ai trop l’habitude.

     Il avait fallu qu’elle pose cette question pour réaliser, en fait, que je n’en avais pas la moindre idée. Zut, fichue mémoire ! Les seules fois où je faisais sonner mon réveil, c’était pour aller travailler, alors, pour aujourd’hui, quel était le prétexte ?

     — Tu devrais prendre ton petit-déjeuner avant de tomber dans les pommes une fois de plus, Lucy, m’avertit-elle, me sortant ainsi de mes pensées.

     — Oui, grommelai-je simplement.

     Elle avait, cependant, quelques qualités, rares chez les autres mères, qui parfois pouvaient être dérangeantes. Elle était la personne qui cernait le plus facilement les états d’âme des gens qui l’entouraient. Elle fut la première à avoir remarqué que quelque chose clochait chez moi, sans pour autant mettre la main dessus, et c’était tant mieux. Que quelqu’un mette son grain de sel dans ma vie ? Hors de question !

     — Tu as rappelé Jimmy pour le repas de demain soir ? demandai-je à mon père, tout en me servant un bol de céréales.

     — Arrête de stresser pour un rien, ne t’en fais pas, il viendra !

     Jimmy était mon frère aîné, il allait avoir trente ans la semaine prochaine. Il travaillait à l’hôpital de la ville et était marié depuis peu à Mélodie, qui avait appuyé ma candidature pour mon job. Il avait toujours été d’un soutien infaillible et faisait partie des rares personnes avec qui je me sentais parfaitement à l’aise. Malheureusement, avec son travail, on se voyait rarement, ces derniers temps.

     Le repas de demain soir était, pour moi, un immense bonheur, et j’étais pressée d’y être. Et là, mon cerveau se réveilla et j’eus un déclic.

« Mais bien sûr ! Je dois passer prendre Mel. Voilà pourquoi je me suis levée tôt. Je savais bien que j’avais un truc à faire, aujourd’hui. »

     En parlant du loup, le téléphone se mit à sonner.

     — Chérie, c’est pour toi ! me héla ma mère.

     — Qui est-ce ?

     — Mélodie. Elle veut savoir si tu n’as pas oublié votre journée d’emplettes.

     « Eh oui, c’est bien elle. »

     Je n’avais vraiment pas envie de répondre au téléphone. Je n’avais encore rien avalé et mon hypoglycémie commençait déjà à me jouer des tours.

     — Dis-lui que…

     — Oh non, jeune fille ! me coupa-t-elle brusquement. Tu la prends, et tout de suite !

     Je fis demi-tour, un peu ronchon, et pris le combiné.

     — Salut, Mél., marmonnai-je en faisant la grimace à ma mère.

     — Oh, toi, tu es levée depuis peu, je me trompe ? Se moqua-t-elle.

     — Juste depuis quelques minutes, en effet.

     — Je fais vite alors. Tu peux ramener de quoi déjeuner pour ce matin ?

     — Pas de problème, mais je ne serai pas chez toi avant au moins une heure, j’étais sur le point de prendre le mien justement.

     — Tu peux le prendre à l’appart, tu sais, me suggéra-t-elle poliment, ce sera plus sympa.

     — Il ne vaut mieux pas, non. Tu sais ce qui risque d’arriver si je sors de chez moi l’estomac vide…

     — Oh ! souffla-t-elle. Oui, j’ai failli oublier. Et c’est moi, sur ce coup, qui me ferait enguirlander par ton charmant frère ! Bon, eh bien prend ton temps, je ne suis pas pressée. J’ai quelques trucs à faire avant que tu n’arrives.

     — À tout à l’heure, Mel.

     — Bye.

     Mel était charmante et toujours très patiente avec moi, malgré mes sautes d’humeur de ces dernières semaines. Je n’avais pas eu d’appréhension à son sujet, au début de sa relation avec mon frère. Nous avions tout de suite sympathisé. Elle était d’un naturel posée et était toujours à l’écoute lorsqu’on voulait se confier à quelqu’un.

     Je retournai donc dans la cuisine et continuai à préparer mon petit-déjeuner. Là, je réalisai qu’il y avait quelque chose qui n’était pas comme d’habitude.

     Hier encore, j’avais une boule dans la gorge rien qu’en versant le lait. Tous ces matins étaient si semblables que je peinais à retenir mes larmes. Dans des moments comme celui-ci, je me sentais vraiment pitoyable. Pauvre petite fille, enfermée dans un quotidien qui l’étouffait et sans être capable de tracer son chemin.

     Mais, ce matin, tout était bien différent. Cette boule n’était pas venue me rendre visite, ni mes larmes, rien de tout cela si ce n’est cette fièvre qui était encore présente. Je me surpris même à me sermonner face aux pensées qui m’assaillaient bien souvent ces derniers temps.

« Bien sûr que non, Lucy, tu feras quelque chose de ta vie… petite idiote ! »

     Le souvenir de mon rêve revint au galop, avec, côte à côte, mes deux moi. La bienveillante mamie Lucynda, et l’infâme Mademoiselle Lucy…

     Deux personnalités totalement différentes, mais faisant pourtant référence au même individu. Étais-je vouée à choisir l’une des deux voies, ou étaient-elles, déjà, deux parties bien distinctes de mon âme ?

     Ne voulant choisir entre ces deux possibilités, je m’imaginais une troisième voie et instantanément, une autre silhouette s’ajouta aux autres. Elle ressemblait plus à une forme immatérielle, totalement translucide et floutée. Peut-être symbolisait-elle mon libre arbitre ? Ou autre chose, allez savoir…

     Même si Mel m’avait dit que je pouvais prendre mon temps, il fallait tout de même que je me dépêche un minimum : elle m’attendait pour manger. Je me précipitais donc pour terminer mon bol avant de remonter me laver et m’habiller chaudement. J’enfilais en vitesse un gros pull et un jean, pris ma veste et sortis de la maison.

 

     La ville n’était qu’à une demi-heure de marche, mais comme le temps menaçait, j’avais préféré prendre ma voiture. Mel ne travaillait pas aujourd’hui, et comme l’anniversaire de mon frère approchait, nous avions prévu une journée de shopping.

     Comme je savais que Mel se laisserait vite débordée par ses tâches ménagères, je lui envoyais un texto pour la prévenir que j’étais sur le chemin et que je ne tarderai pas à arriver.

     Je me dirigeai donc vers la seule boulangerie à proximité de son appartement, situé dans une rue assez fréquentée malgré l’éloignement du centre-ville. La rue était anormalement déserte pour un samedi matin. Tant mieux, à vrai dire, car je n’avais pas envie de croiser un visage familier.

     Je n’étais toujours pas dans mon assiette, mais je disposais d’assez de forces pour conduire jusque chez Mel. Je me sentais toujours faible et fiévreuse, ce qui ne m’était jamais arrivé avant, enfin, après la prise d’un bon petit-déjeuner, cela va s’en dire. Cependant, entre l’idée de rester enfermée chez moi et celle de passer une journée avec ma belle-sœur adorée, le choix était vite fait.

     Et voilà que Mme Lombart, la voisine de Mél., sortait de la boulangerie au moment où j’allais y pénétrer. Je faillis la percuter, mais fus assez agile pour l’éviter de justesse.
« Tu es encore dans la lune, ma petite » maugréai-je pour moi-même.

     Elle ne me remarqua pas tout de suite, elle aussi paraissait ailleurs.

     — Tiens, bonjour Lucynda. Tu vas rendre visite à Mélodie ? me salua-t-elle en souriant.

     — Bonjour, Mme Lombart, lui répondis-je en lui rendant son sourire. Oui, j’y vais juste après.

     Je savais admirablement bien faire illusion face aux autres pour cacher ma morosité quotidienne.

     — Tu lui prieras bien le bonjour, je n’ai guère l’occasion de la voir ces temps-ci.

     — Promis, madame. Bonne journée.

     — Bonne journée à vous deux également.

     Elle commença à s’éloigner rapidement, mais se ravisa.

     — Lucynda ? m’appela-t-elle d’une voix hésitante, tu n’aurais pas aperçu un drôle de monsieur roder dans le coin ?

     L’image de l’homme de mon cauchemar revint en force.

     — Euh… non, madame, rétorquai-je un peu déboussolée. Pourquoi me demandez-vous ça ?

     — Il y en avait un au coin de la rue, il me fixait d’une manière étrange. Fais bien attention à toi surtout      Lucynda, il n’y a pas grand monde aujourd’hui.

     — Ne vous en faites pas, madame Lombart.

     Et elle s’éloigna.

     Une fois les croissants en main, je sortis de la boulangerie et me dirigeai vers ma voiture. Cependant, arrivée à mi-chemin, l’étrange impression d’être observée me fit ralentir le pas. Je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil autour de moi, mais il n’y avait personne.

« Bravo, Mme Lombart, vous avez réussi à me foutre la trouille ! » M’exclamai-je silencieusement en soupirant.

     Je repris donc ma route d’un pas tranquille, posai doucement les croissants sur le toit, mais au moment d’ouvrir ma portière, je sentis une présence derrière moi, ce qui stoppa net mon mouvement.

     À partir de là, tout se déroula très rapidement.

 

     Quoique…

 

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Black out…

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« Mais que m’arrive-t-il ? Pourquoi ai-je les mains qui tremblent comme ça ? »

     Me tournant vers le siège passager, je vis qu’un sachet de croissants y reposait.

« Mais comment êtes-vous arrivés là, vous ? »

     Étudiant les alentours, je découvris, avec stupéfaction, que j’étais non loin de chez ma belle-sœur.

     — Mais comment diable as-tu pu atterrir ici, toi ?

     Je ne comprenais plus rien. Je me revoyais bien passer le seuil de chez moi, monter dans ma voiture et la démarrer… pour me retrouver ici.

     Et pourtant, en vérifiant l’heure, un quart d’heure s’était écoulé !

     Voilà un fait qui ne s’était encore jamais produit jusqu’à présent. J’étais sortie de chez moi, j’avais acheté ces croissants, et je n’en avais plus le moindre souvenir.

Cependant, j’appréhendais ce qu’il avait dû se passer, car mon front était couvert de sueur et mes mains tremblaient toujours.

     Un coup de klaxon me ramena à la réalité. En regardant rapidement dans mon rétro, je pus apercevoir juste à temps une silhouette sombre disparaître au coin de la rue, semblable à celle de cette nuit. Cela me perturba.

     Je démarrai sur les chapeaux de roues et roulai en direction de chez Mel.

 

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     — Eh bien, tu en as mis du temps, ma belle ! s’exclama-t-elle en m’ouvrant la porte.

     Elle m’accueillit chaleureusement par une franche accolade, comme à son habitude, puis marqua un temps d’arrêt en me dévisageant, ses mains tenant fermement mes épaules.

     — Lucy, tu vas bien ?

     Elle était inquiète. Qui ne le serait pas, vu mon état ?

     — Oui, je vais bien. Je ne dois pas encore être bien réveillée, c’est tout, tentai-je pour la rassurer.

     J’évitai cependant de lui raconter mon absence de tout à l’heure, ces quelques minutes qui s’étaient étrangement effacées de ma mémoire…

     — On dirait que tu viens d’avoir la peur de ta vie, Lucy ! Mais que t’est-il arrivé ?

« Si seulement je le savais »

     Me serrant toujours les épaules, elle me guida jusqu’à une chaise et me fit m’asseoir presque de force.

     — Regarde-moi ça : tu es tout en sueur et tu trembles comme une feuille !

« Et zut ! J’aurais dû prendre le temps de me calmer, il ne manquait plus que ça ! Change de sujet, tu dois changer de sujet… »

     — Je peux prendre une douche, pendant que tu déjeunes ?

     Je lui déposai les croissants sur la table et la repoussai délicatement afin de me lever. Elle m’examina, un air interrogateur et soucieux posé sur moi.

     — Oui, bien sûr.

     Je pouvais encore sentir son regard inquisiteur posé sur moi alors que je m’éloignais en direction de la salle de bain.

     Une douche bien chaude, c’est tout ce dont j’avais besoin pour me calmer. Mes muscles se décrispèrent sous l’eau ruisselante et apaisante. Toutes ces émotions que j’avais ressenties, cette colère, cette peur incompréhensible s’envolèrent. J’étais même anormalement sereine, ce qui ne m’était pas arrivée depuis longtemps…

     En sortant de la douche, je m’enveloppai d’une serviette et me dirigeai vers le miroir pour me recoiffer, mais mon reflet me fit sursauter : il était inhabituellement heureux et souriant.

     Je n’avais pas l’habitude de cette expression sur mon visage !

« Petite fille si triste et si déçue de la vie, voilà que tu souris à présent ! »

     Mel avait fini de déjeuner, et avait même débarrassé la table quand je la rejoignis. Elle se tourna vers moi quand elle m’entendit approcher.

     — Quelle transformation, Lucy ! Une bonne douche et ça repart, hein ? Tu es bien plus jolie quand tu rayonnes ainsi.

     Je m’empourprai aussitôt, ce qui la fit rire.

     — Ça aussi, ça fait longtemps que ça ne s’était pas produit ! Mais que t’arrive-t-il aujourd’hui ?

« Que quelqu’un me le dise enfin ! »

     — Je suis comme tous les jours, non ? chuchotai-je maladroitement.

     — Tu sembles heureuse.

     — C’est que je dois l’être, alors.

     Ça y est, toute cette conversation commençait à devenir gênante. Voyant que je ne voulais pas m’attarder sur la question, elle n’insista pas davantage et changea de sujet.

     — Merci pour les croissants, ils étaient délicieux !

     — Ravie qu’ils t’aient plu ! lui dis-je en souriant chaleureusement.

 

     Cela semblait être devenu un réflexe à présent. Je ne pouvais m’empêcher de sourire et d’irradier le bonheur, tout en ignorant les raisons qui avaient provoqué cela.

     Pourtant, ma vie était toujours aussi merdique qu’à mon réveil, si ce n’est un peu plus flippante que la normale, alors pourquoi un simple trajet en voiture m’avait fait me sentir aussi bien ?

     Tout en enfilant nos vestes, Mélodie me fixait avec attention, songeuse, puis souffla de découragement et me précéda vers la porte d’entrée.

     — Complètement désespérante ma petite ! me susurra-t-elle. Mais cette gaieté soudaine te va beaucoup mieux que la morosité de ces derniers mois…

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