top of page
Un choix mortel

Résumé :

 

 

Ayant arrêté ses études, Lucynda, jeune fille sans histoire, travaille à présent dans un fast-food. Elle a toujours eu énormément de mal à s’attacher aux gens qui l’entourent et s’est continuellement sentie à l’écart, sans savoir pourquoi.

Mais un beau jour, sa vie va être bouleversée par une horrible tragédie. Elle devra réapprendre à vivre, et à survivre, dans un quotidien qui n’est plus le sien. Le danger sera à chaque coin de rue et elle devra se méfier de tous. Cependant, elle ne sera pas seule face à tout cela, des personnes veilleront sur elle.

Sont-ils seulement fiables ? Pourquoi restent-ils si mystérieux ? Et pourquoi ce beau ténébreux l’attire-t-elle, autant qu’il la terrifie ?

 

Entrez dans ce monde inédit à vos risques et périls…

     — Je t’ai donné une vie, m’asséna-t-il sans crier gare.

     — Tu… quoi ? m’estomaquai-je, n’en croyant pas mes oreilles.

     — Je t’ai donné une de mes vies. Tu as encore beaucoup à apprendre à mon sujet, ma belle, me balança-t-il avec un clin d’œil malicieux, toute trace de tristesse s’étant envolée. Le mythe qui raconte que le chat aurait neuf vies n’est pas tout à fait une affabulation, mais cette particularité ne concerne que les Homo feles. Je les possédais encore toutes, mais je ne pouvais concevoir de te perdre, et je n’étais pas le seul dans ce cas, ma décision fut donc facile à prendre.

     Il marqua un instant de silence, que je m’abstins de rompre, tant j’étais occupée à emmagasiner ces renseignements. Puis il me lança un regard aguicheur.

     — Par contre, ma belle, loin de moi l’idée de ne pas te trouver à mon goût, mais tu te fourvoies en pensant que je t’ai embrassé. Je ne le fais jamais sans le consentement de la lady.

     Il redevint sérieux pour me donner un complément d’information.

     — Cela fait partie du rituel. Je dois me connecter au receveur à travers toutes ces extrémités : bras, jambes, et le plus important, la tête. Ce fut nécessaire pour te redonner vie.

     Je n’en revenais pas. Toutes ces choses qu’il était capable de faire, j’en apprenais tous les jours ! Et surtout, j’étais abasourdie par ce qu’il disait m’avoir offert. Jamais personne ne m’avait donné de cadeau aussi précieux…

     — Alors je suis vraiment morte ?

     — Ton cœur ralentissait, il te restait à peine une minute à vivre, on n’avait pas le temps d’envisager une autre solution.

     — Mais tu as une vie en moins, maintenant.

     — Je ne regrette rien, Lucy. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seule seconde.

     Un voile de mélancolie vint orner à nouveau son visage, occultant toute trace de joie. La culpabilité refit surface, inévitable. Mais bon sang, il était incorrigible ! Ce n’était pas à lui de se sentir responsable de mon malheur, grâce à lui j’étais encore là !

     — Thomas, tu m’as sauvé la vie ! Sans toi, je ne serais pas là. Alors je t’interdis de te sentir coupable ! Ce n’est pas à cause de toi que je suis ici !

     — Mais tu as failli mourir !

     — Justement, j’ai failli, lui confirmai-je, en insistant bien sur le dernier mot.

     — J’aurais dû arriver à temps, comme lors de notre première rencontre. J’aurais dû écouter mon instinct...

     — Tu n’es pas fautif, Thomas. Je refuse que tu te sentes coupable des évènements de cette nuit.

     Comme il s’était orienté vers la fenêtre, me tournant ainsi le dos, il se figea sur mes derniers mots prononcés, puis pivota lentement, les yeux exorbités et le souffle coupé.

 

« Mais quelle connerie ai-je bien pu sortir pour qu’il agisse comme ça ? »

 

     — C... cette nuit ? balbutia-t-il.

     Là, ce fut moi qui perdis l’usage de mes cordes vocales. Je ne devenais quand même pas folle. Hier avait été organisé une soirée en l’honneur de mon frère et de moi-même, et elle s’était terminée, pour ma part, sur le bord d’un lac, à me vider de mon sang... Le bruit d’une porte, s’abattant avec fracas contre un mur, me sortit de mes divagations.

     Hely franchit le seuil de la porte, haletante. Elle avait, apparemment couru pour m’annoncer quelque chose. Cela devait être vachement important, à voir dans quel état elle s’était mise. Elle tenta de se ressaisir, l’espace d’une minute, et reprit son souffle. Suite à cela, elle vint s’asseoir sur le rebord de mon lit, comme Thomas l’avait fait précédemment, et posa ses mains sur ses genoux, afin de se donner une contenance.

     — Lucy, commença-t-elle posément, tu es restée inconsciente durant trois jours.

     La nouvelle ne me fit même pas sourciller, tellement je prenais l’habitude d’être malmenée à droite et à gauche, ces derniers temps. Parfois, je me surprenais moi-même.

     — Ah bon...

     — Quoi, c’est tout ? Ça ne te fait pas réagir plus que ça ?

     — Comment voudrais-tu que je réagisse ? J’ai failli y passer, mais je vais bien maintenant. Alors, excuse-moi de ne pas m’inquiéter plus que ça.

     D’accord, j’avais parlé un peu sèchement, mais je commençais sérieusement à en avoir marre d’être surprotégée comme une gosse de cinq ans. Hely comprit immédiatement mon point de vue.

     — Je suis désolée, Lucy, me répondit-elle, en accompagnant ses mots d’un sourire tendre.

     Après tout, j’étais la mieux placée pour la comprendre parfaitement. J’étais sa seule famille. Moi, j’aurais réagi de la même manière si mon frère avait été dans cette situation. En fait, j’ai réagi de la même manière...

     Lors des vingt et un ans de mon frère, il s’était retrouvé cloué sur un lit d’hôpital durant un peu plus d’une semaine, pour cause d’appendicite aiguë. Je l’avais tellement saoulé, lorsqu’il s’était réveillé, qu’il m’avait interdit formellement toute visite durant deux jours entiers. J’en avais pleuré.

     — Merci, rétorqua-t-elle simplement.

     Puis, elle se leva du lit et se dirigea vers la porte.

     — Je suppose que je dois rester vingt-quatre heures en observation avant de pouvoir sortir, n’est-ce pas ? lui balançai-je alors qu’elle s’apprêtait à actionner la poignée.

     L’avantage d’avoir un frère médecin.

     Elle se retourna pour me répondre, mais Thomas la devança.

     — Ma belle, tu n’es plus sur Terre. Tu vas parfaitement bien, tu peux sortir dès que tu le souhaites. Puis, susurrant à mon oreille : on ira s’éclater en boîte pour fêter ton rétablissement.

     Et il accompagna sa dernière tirade d’un clin d’œil complice.

     — Thomas ! Si tu fais ça, je te jure que je t’immole sur la place publique !

     Avant même que je réalise ce qu’il se passait, Thomas se trouvait déjà sur le rebord de la fenêtre – allez savoir comment il s’y était pris pour l’ouvrir sans que je ne m’en aperçoive – prêt à sauter dans le vide, fidèle à son habitude. Et Hely qui s’apprêtait à lui faire subir une douche forcée.

     Comme je lisais en elle beaucoup plus facilement qu’au début de notre rencontre, je pris les devants instinctivement, et c’est elle qui se retrouva trempée jusqu’aux os. Je partis dans un fou rire mémorable, qui résonna dans le calme – soudain – de la pièce, ce qui me modéra aussitôt.

     Tous deux me fixaient comme s’ils me voyaient pour la première fois.

     — Quoi ? Je n’ai pas le droit de participer, c’est ça ?

     — Tu te rends compte de ce que tu viens de faire ? rétorqua Hely, après une minute de silence.

     Thomas, lui, n’avait pas bougé de son perchoir.

     — J’ai anéanti ta belle combinaison, c’est ça ? Allez, elle ne t’a rien coûté de toute manière !

     Elle se rapprocha de moi, à nouveau, mais se contenta de rester debout à mes côtés, appuyant ses paumes sur le lit pour se rapprocher et créer un climat de confidence.

     — Si tu te souviens de la façon d’utiliser ton contrôle sur l’eau, peux-tu me dire pourquoi tu ne t’en es pas servie pour te défendre ?

     Et là, je réalisai...

     Je me souvenais parfaitement d’avoir tenté – en vain – de ressentir, ne serait-ce qu’une infime molécule de ce liquide précieux, afin de m’en servir contre mon agresseur, mais mes efforts n’avaient pas été concluants.

     Alors pourquoi, ici même, dans cette chambre d’hôpital, je venais juste de m’en servir sans même m’en rendre compte ? Ça avait été un geste tout à fait naturel, comme si ce pouvoir m’avait été inné. Qu’avais-je, chez moi, qui n’allait pas ? Au début, on me disait que je savais faire tout un tas de choses ; la seconde d’après, je manquais de mourir, car je me retrouvais sans défense, et là, inconsciemment, je refroidis ma sœur…

     — Ma belle, arrête de paniquer, tu es en vie, il n’y a vraiment aucune raison de t’en faire.

     Il me fit sortir de mes pensées et je levai la tête dans sa direction.

     — Qu‘est-ce qui te fait dire que je panique ?

     — Lucy, regarde le sol…

     Au moment où je m’aperçus que je venais d’inonder ma chambre, une femme fit son entrée. Voilà donc qu’il fallait maintenant que je modère mes sentiments, au risque de provoquer une catastrophe. Génial.

     — C’est de famille, annonça Hely, la voix démunie d’intonation.

     — Je suis vraiment désolée, balançai-je en sortant d’un bond de mon lit, je vais nettoyer ça tout de suite.

     Je me dirigeai déjà vers le placard du fond, espérant y trouver un ustensile qui puisse m’aider dans ma tâche, lorsque l’inconnue prit la parole.

     — Laissez, Mademoiselle, je vais éponger tout ça, allez-vous recoucher s’il vous plaît.

     Une phrase innocente, toute simple, qui me fit pourtant un effet inattendu, et qui me figea sur place, telle une statue vivante. On aurait dit que mon cerveau s’était déconnecté, lui-même, de la réalité. Je savais – et je voyais – où et avec qui j’étais, mais je n’entendais plus ni ne voyait plus les signes qu’ils me faisaient depuis maintenant près de deux minutes. Même la femme de ménage s’y était mise.

     — Je vais bien, réussis-je à marmonner, après ce qui me parut une éternité.

     — Mais qu’est-ce qui t’arrive, Lucy ?

     Je mis un temps pour mettre des mots sur mes idées, allez savoir comment j’en étais arrivée à être persuadé de ce que j’allais leur dire.

     — Éponge…

     — Quoi ? me répondirent-ils en chœur.

     — C’est moi. Je pense que je suis comme une éponge, continuai-je, tout en regardant la femme de ménage, qui vaquait à sa tâche.

     Et là, Hely fixa sur moi des yeux écarquillés par la surprise, car je mis enfin de l’ordre dans mes idées. Thomas, qui hésitait encore entre piquer un fou rire ou s’inquiéter sérieusement, montra des signes d’impatience face à ce que nous venions de partager. Hely qui, elle, avait compris, essaya de lui préciser mes pensées.

     — Lucy pense qu’elle ne contrôle rien. Elle agirait comme un catalyseur en absorbant les pouvoirs autour d’elle. Ce qui expliquerait, en effet, qu’elle n’ait pu se défendre ce soir-là.

     Et là, le silence s’installa définitivement. L’on entendit à peine la porte se refermer sur l’inconnue, lorsqu’elle quitta la pièce.

 
Prologue :
 
 

     Un léger bruit que je n’arrivais pas à déchiffrer me ramena à moi, mais aucune lumière ne réussissait à percer ce noir profond qui m’entourait.

     Mes paupières étaient si lourdes, que j’avais énormément de mal à les ouvrir : l’on aurait dit qu’elles étaient cousues au reste de mon visage. Lorsque je réussis enfin à les entrouvrir, je crus apercevoir, l’espace d’une infime seconde, le doux visage de Thomas près du mien, avant de sombrer à nouveau dans le néant accompagné d’un faible ronronnement.

 

¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤¤

 

     Un flash de lumière vint inonder ce néant obscur et m’aveugla par surprise, puis se figea devant moi et commença à s’éloigner de plus en plus vite. Une si belle clarté qui vous inonde de chaleur, puis qui vous quitte subitement… Je n’eus d’autre choix que de me ruer vers elle. Je ne voulais plus errer dans ce désert sordide et glacial, seule. Je voulais de la chaleur, de la compagnie. Alors je courus, encore et encore.

     Au bout d’un moment, elle stoppa sa course et je pus la rattraper. Ce fut ce moment-là que le doute choisit de m’envahir. Cette lumière me tendait les bras, devais-je la franchir ou rester dans le noir et me battre pour en trouver la sortie ? Par réflexe, je fis un pas en avant, et une onde d’amour m’envahit alors lentement. Je n’eus plus aucune hésitation. Pénétrer dans cette vive lumière était une bonne chose, il fallait à tout prix que j’y entre.

     Derechef, quelque chose vint troubler ma décision, au moment même où j’allais faire le second pas. Un doux ronronnement familier m’enveloppa et raviva mon incertitude. Suivi d’un autre son qui ne m’était pas inconnu lui non plus.

« Thomas, ce n’est pas raisonn… »

     Et elle s’éloigna rapidement de moi.

     — Hely ? Thomas ? Mais où êtes-vous ?

     Voilà que je commençais à paniquer. Ma voix était méconnaissable, comme sortie tout droit d’un film d’épouvante.

« … veut pas… »

     Plus un son ne fit écho autour de moi. Un silence macabre reprit place et me plongea dans un profond désarroi. Ma décision était déjà prise, et je courus, le plus vite que je pus, vers la voix de ma sœur et celle de Thomas.

     À peine m’étais-je reculée de cette illumination qu’elle disparut aussi vite qu’elle était apparue. Qu’à cela ne tienne, je préférais encore partir à la recherche des personnes qui m’étaient chères, je ne me voyais pas les abandonner, comme une lâche, et courir, seule, vers le bonheur. Il ne valait pas la peine d’être vécu si c’était sans eux.

     Alors je me remis en route, inlassablement, jusqu’à ce que ce noir polaire se teinte de petites touches verdâtres, çà et là. Petit à petit, une forêt se matérialisa devant moi. Immobile devant cette beauté qui prenait vie peu à peu, je me rendis compte que ce décor m’était familier. Un sentier, assez grossier, débutait juste en face de moi, alors je l’empruntai, sans aucune crainte. Bien vite, j’atterris dans une petite clairière, où deux personnes étaient assises, en tailleur, l’une en face de l’autre, une forme mouvante entre elles.

     — Hely ?

     Mais elle ne m’entendait pas, alors je me rapprochai encore, pour découvrir, avec exactitude, la scène qui se jouait devant moi. Je revivais le tout premier moment où j’avais aperçu Dorian pour la première fois. Je le vis se retourner vers… moi, et m’envoyer un clin d’œil.

« Oh, salut toi ! », me lança-t-il gaiement.

     Il était si joyeux et serein… Qui aurait pu croire qu’un monstre se cachait en lui ? Une boule naquit dans ma gorge, j’avais énormément de mal à le qualifier de la sorte : de monstre, et le revoir ainsi ne faisait qu’accroître davantage mon malaise. Alors je me mis à fuir cette scène de toutes mes forces. Je pouvais déjà sentir les petites traitresses couler lentement le long de mes joues.

     Une douleur soudaine me paralysa sur place, et je me laissai tomber sur le sol.

 
Chapitre 1 :
 
 

     Lorsque je rouvris les yeux, je me trouvais dans une pièce à l’éclairage tamisé, et des voix résonnaient autour de moi. Deux personnes se chamaillaient gaiement au sujet d’une troisième. Je décidai de me tourner vers elles deux, pour découvrir Dorian ratant de peu une boule d’eau, lancée par Hely. J’étais de retour dans notre hôtel, à Holytown, et c’était ma première rencontre officielle, en chair et en os, avec mon tortionnaire.

Mais pourquoi m’infligeait-on pareille souffrance ? N’avais-je pas déjà subi assez par sa seule faute ? Ou quelqu’un prenait-il un malin plaisir à me torturer ?

     L’effet de surprise passé, je m’assis lentement sur le rebord du lit, pour voir aussitôt Dorian accourir et me proposer son aide, ainsi qu’un bon petit-déjeuner. Je nageais en plein délire !

     Profitant du fait qu’Hely le sermonnait pour s’être déplacé bien trop rapidement, je me ruai vers la porte de la salle de bain, qui s’ouvrit à la volée, et que je m’empressai de refermer derrière moi. J’allumai la lumière : enfin un lieu où personne ne pourra venir perturber ma solitude.

     Mais en me retournant, qu’elle ne fut pas ma surprise de découvrir la chambre d’hôpital de mon frère, à Holytown ! J’en restai scotchée contre la porte, observant la nouvelle scène qui s’offrait à moi. Jimmy, inconscient dans son lit, Dorian à son chevet, blessé, et Paul, me fixant avec effroi. Sauf que c’était l’autre moi, celle qui s’immolait devant tout le monde.

     Contrairement à mon réveil à l’hôtel, j’étais captivée par ce spectacle, qui se déroulait devant mes yeux sous un tout nouvel angle, au ralenti. J’avançai lentement en direction des fenêtres, et pu voir le regard alarmé de Dorian, et la surprise dans celui de Paul. Je le vis se ruer sur ce dernier, une larme glissant sur sa joue, et l’assommer, avant de se jeter sur moi, que les flammes commençaient à caresser dangereusement. C’était la première fois que je le voyais pleurer. Je pensais même que c’était chose impossible pour un vampire : autant dire plutôt qu’il avait sa fierté ! Il hurla de douleur et commença à s’enflammer lui aussi. Mais ce ne fut pas ça qui l’arrêta. Je pouvais voir ses cheveux griller à petit feu, et sa peau fondre comme neige au soleil. Il me mordit le cou et un frisson d’effroi me tétanisa sur place, à la vue de ce spectacle. Puis le moi en flammes s’écroula sur le sol.

     Il faisait pitié à voir, le pauvre.

« Le pauvre ? Tu deviens folle, ma petite. Il t’a tuée… »

     Cependant, je ne pouvais m’empêcher de compatir. Là, j’eus un hoquet de surprise. Je le vis se positionner au-dessus de moi, se taillader une veine, et en déverser son contenu dans ma bouche, qu’il avait ouverte en grand. Il m’avait fait boire son sang et ne m’en avait rien dit ? Mais comment avait-il pu oser me faire ça ? Et là, je compris enfin.

« Luce, s’il te plaît, reviens ! Bats-toi ! Maintenant que je t’ai trouvée, tu me quittes de la sorte ? Je ne le permettrai pas ! Je t’empêcherai de me quitter ! Bats-toi ! »

     Et sur ces paroles, il s’ouvrit l’autre veine et recommença son geste. Aussitôt, il s’écroula, une lueur de joie dans son regard affaibli : je commençais à guérir et je repris mes esprits deux minutes plus tard.

​​     Comment un être aussi puissant pouvait-il vous sauver la vie à plusieurs reprises et vous la reprendre quelques jours plus tard ? J’étais totalement perdue et ne savais plus quoi penser à son égard. Je m’écroulai sur le sol – le vrai moi, cette fois – assistant, impuissante, au sermon qu’il me lançait maintenant.

​     En parlant de vie sauvée, qu’en était-il de mes derniers souvenirs ? Que signifiaient-ils ? Si tout était bien réel, alors je m’étais sentie mourir et m’élever dans les cieux, loin de mon corps.

     Mais, après l’étrange intervention de Thomas, mon ascension fut stoppée et je fus attirée brusquement vers lui. D’ailleurs, que signifiaient ces agissements ? Que m’avait-il fait ?

     Avait-il été si éperdument amoureux de moi, qu’il avait voulu me faire sienne, pendant mon agonie, en me griffant et m’embrassant de la sorte ? Sottises. Il s’agissait de Thomas, je déraillais complètement, là !

     Mais après un tel baiser, il y avait de quoi se poser des questions. Son attitude m’avait intriguée, et je ne savais quoi en penser. De multitudes d’idées se bousculaient dans ma tête, certaines plus farfelues les unes que les autres, d’autres plus censées, mais d’autant plus difficile à croire.

« Qu’à cela ne tienne, tôt ou tard, j’obtiendrai les réponses que j’attends. »

​     Je reprenais doucement connaissance, mais n’avais pas pour autant envie d’ouvrir les yeux. Cependant, le noir ambiant s’éclaircit peu à peu et commença à m’aveugler. Je poussai un soupir rageur. Qui osait donc me sortir ainsi de mes pensées ?

« Elle revient à elle, Hely ! Viens vite ! »

     — Tho… Thomas ?

     Ma voix était méconnaissable, l’on aurait dit une parfaite étrangère.

     — Chut, ma belle. Tu es encore faible, gardes tes forces.

     Un bruit sourd résonna dans la pièce où je me trouvais et j’entendis une personne courir dans ma direction.

     — Lucy ! clama Hely en pleurant. Oh ! Lucy, j’ai cru que je t’avais perdue !

     Et elle se jeta sur moi, m’enlaçant de ses bras tremblants et me caressant les cheveux.

     Thomas, lui, était toujours près de moi, car je sentais son poids sur la gauche de mon lit ; il s’était couché tout contre moi, en boule, comme la première nuit qu’il avait passée avec moi. Je passai mes doigts dans ses cheveux de jais et il se releva un tantinet, sûrement pour m’observer. J’aurais presque eu de la peine pour la peur que je leur avais causée. Alors j’ouvris lentement les yeux, pour le voir pleurer à chaudes larmes, tout comme ma sœur, d’ailleurs. Je ne voulais pas qu’ils se mettent dans des états pareils pour moi, mais avant de leur en faire la leçon, j’avais une chose bien plus importante à faire.

     Jetant un regard à droite et à gauche, je me rendis compte que je pouvais bouger, déjà, dans un premier temps ; puis que j’avais encore mes deux bras et mes deux mains, mes bras étaient dépourvus de traces de griffes, ils les avaient soignés admirablement bien. J’agitai les orteils sous les draps : génial, ils bougeaient !      Par réflexe, j’y jetai un œil pour avoir confirmation, et la vue qui s’offrit à moi me fit pousser un cri de terreur.

     — Noonnnn !

     Je repoussai aussitôt Thomas et Hely – allez savoir où je trouvais cette force, par moment – et m’aplatis contre la tête de lit, avec la certitude que, si je poussais davantage le mur, je serais en sécurité. Hely et Thomas réagirent en parfaite synchronisation et se rapprochèrent de moi, de part et d’autre de mon lit.

     — Du calme, ma belle, du calme. Il ne te fera rien. Il se sent super mal pour ce qu’il t’a fait ce soir-là.

     — Thomas a raison, Lucy. Il ne te fera rien, tu n’as rien à craindre, calme-toi. Tu n’as rien à craindre…

     Elle répétait toujours la même chose, tout en passant sa main dans mes cheveux pour m’apaiser, mais je me rendais bien compte qu’elle se refusait de le regarder. Cependant, cela fonctionna, déjà je sentais mon pouls reprendre un rythme normal.

     — D’accord, je veux bien vous croire, mais je veux qu’il sorte quand même.

     — Luce…

     — La ferme ! hurlai-je à pleins poumons en tambourinant le matelas des mains, faisant sursauter mes deux protecteurs. Sors de là ! Sors de là !

     Par moment, vous éprouvez l’irrésistible envie d’agir d’une certaine façon, alors que si vous aviez réfléchi, ne serait-ce qu’une seconde, la logique aurait voulu que vous fassiez autrement. C’était un de ces moments-là. Ça faisait un bien fou, ça défoulait, même si j’eus un pincement au cœur en le voyant franchir      le seuil de la porte.

     — Je deviens complètement cinglée…

     Seule Hely me répondit, bien entendu, car Thomas avait perdu le fil de la conversation. Il se contenta simplement de reprendre place à mes côtés, comme un chat égaré.

     — Ne dit pas ça. Tu es perdue, et je le comprends parfaitement. Tu es cisaillée par tes sentiments, mais tu n’es pas cinglée.

     — Je l’aime, Hely. Il a tenté de me tuer et je l’aime encore…

     Je fondis en larmes, ne pouvant plus contrôler les soubresauts que mon corps effectuait contre ma volonté. Je voulais laisser sortir toute cette tristesse, ce sentiment qui me faisait honte. Thomas voulut s’éclipser, mais j’eus un réflexe suffisamment rapide pour le retenir par le poignet.

     — S’il te plaît, reste, je ne veux pas que tu partes. Ta présence m’apaise.

     Il esquissa un léger sourire et revint s’asseoir sur le rebord du matelas.

 

« Je sais que je vous ai tous fait peur, et j’ai bien cru que mon heure était arrivée. Mais pourrais-tu me laisser seule un moment avec Thomas, s’il te plaît ? »

 

Je sais que j’en demandais beaucoup, mais il fallait que je m’explique avec lui. Confirmer mes soupçons.

 

« Bien sûr, Lucy. Je serais à côté si tu as besoin de moi. Et, par pitié, arrête de t’en faire pour les autres, pense un peu à toi pour une fois. »

 

     Et elle sortit, plus calmement que lors de son entrée, nous laissant seul, mon fauve et moi. Il fallait qu’il me dise exactement ce qu’il s’était passé.

     Au moment où je me tournai vers lui, il afficha soudain un air grave, se leva et se dirigea vers le fond de la chambre, où il prit appui sur la table basse, son regard plongé vers un point invisible sur le sol. Je voyais bien que quelque chose le tracassait, et je n’avais pas la moindre idée de ce que cela pouvait être. C’est vrai, quoi, s’il m’avait, effectivement, sauvé la vie, alors pourquoi était-il si anxieux ? Je mourrai d’envie de lui poser la question dans la seconde, mais je pris sur moi pour lui laisser le temps de se justifier, car son état actuel m’inquiétait au plus haut point.

     Il n’osait plus me regarder droit dans les yeux…

     — Je suis vraiment désolé, ma belle, commença-t-il, confus. J’aurais dû être plus rapide, j’aurais dû être là bien plus tôt. Tout est de ma faute. J’ai été trop confiant, je pensais que tu ne risquais rien, alors j’ai traîné sur la route, pour te laisser plus de temps avec lui... C’était une terrible erreur, si seulement j’étais arrivé, ne serait-ce que quelques minutes plus tôt, j’aurais pu éviter ce drame.

     La nouvelle me laissa sans voix. J’aurais pu imaginer plein de choses, mais certainement pas ça. Voilà qu’il se sentait coupable de ce qui m’était arrivé ! C’était le monde à l’envers.

     — Thomas, j’ai une question à te poser. Je me souviens t’avoir vu sur moi, m’embrassant après avoir planté tes griffes dans mes membres. Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi m’avoir embrassée ? Je ne savais même pas que tu possédais des griffes…

     Il se figea un instant, décontenancé.

     — Tu… m’as vu… sur toi ? Mais comment ? Tu étais inconsciente, on te perdait !

     — Je ne sais pas comment j’ai pu faire ça, mais tu n’as pas répondu à ma question !

     — OK, OK.

     Il fit des allers-retours dans la chambre, pesant les mots qu’il prononcerait, me jaugeant en même temps. Allait-il me dévoiler un fait si horrible, que les phrases elles-mêmes avaient du mal à franchir le seuil de ses lèvres ?

 

bottom of page